On parle de plus en plus de créativité comme une opportunité pour dépasser la crise, relancer la machine économique et sociale. Analyse avec le directeur des stratégies chez Fondamenti, par ailleurs formateur chez CCM Benchmark.
C’est vrai, chaque période de crise, comme c’est le cas aujourd’hui, est toujours un moment clé pour le renouvellement des idées et des modes de pensée. Il existe en gros deux postures dans les organisations : faire un peu mieux et un plus de ce qui a déjà marché jusque là, cela s’appelle résister ou exploiter ce qui a fait ses preuves ; mais pour combien de temps ? L’autre posture est celle qui doit nous conduire à imaginer autre chose, à faire autrement ; c’est sans doute plus inconfortable au début, mais plus prometteur si ça marche. Et c’est là que la créativité prend tout son sens. Les entreprises qui négligeraient cette deuxième posture, au prétexte de la crise ou par crainte de sortir de leur cadre de référence habituel, risquent de le payer ensuite.
En règle générale, on observe dans les entreprises une volonté affichée de concilier ces deux postures : d’un côté être capable d’innover de façon prévisible et de l’autre être ouvert à de nouvelles idées, de nouvelles approches. Mais cette seconde posture est trop vite sacrifiée par ceux qui subissent la crise. Au contraire de ceux qui anticipent un nouveau paradigme, une nouvelle donne pour leurs produits et services, une anticipation de nouveaux usages, par exemple.
Cela voudrait dire que créativité et innovation, ce n’est pas la même chose ?
En effet, on me pose souvent la question, ce sont deux mécanismes différents. Pour schématiser on pourrait dire que la créativité explore de nouvelles idées, tandis que l’innovation exploite des idées produits/services, qui ont déjà été acceptées par le marché et les consommateurs, en cherchant à les optimiser. Lancer un nouveau téléphone tous les six mois, c’est dans le meilleur des cas une innovation à la marge ; cela défend une position de marché, mais à long terme c’est insuffisant, si l’on n’est pas capable d’imaginer autre chose.
A côté de cela, la créativité va consister à chercher une idée neuve, en décalage, en rupture avec ce qui existe déjà ; ce saut créatif dans l’inconnu n’est possible qu’à deux conditions : la première consiste à favoriser une attitude propice à l’émergence des idées, chez un individu ou dans une équipe : oser sortir du cadre, accepter de se tromper, si ces notions ne sont pas admises, la créativité s’en ressentira. La deuxième condition relève des techniques mobilisées à bon escient pour inspirer ou générer des idées neuves. La bonne maîtrise de ces deux conditions de départ sera déterminante pour une équipe ou une entreprise dans sa capacité à fabriquer du futur, à proposer de nouvelles options.
Une des plus grandes difficultés pour les personnes et les équipes dans leur univers professionnel est de s’autoriser à penser (ou d’y être encouragé) à côté de ce qu’elles savent déjà ou de ce qui fait partie de leurs habitudes de pensée. Un des paradoxes de la créativité va consister à accepter de renoncer temporairement à nos certitudes pour espérer trouver quelque chose de vraiment neuf.
Pour illustrer ceci, ce n’est pas la même chose d’imaginer un sac d’aspirateur plus performant pour améliorer l’existant que de se dire qu’on puisse se passer d’un sac pour imaginer un aspirateur à partir de là. James Dyson est un bon exemple de ce mécanisme d’invention créative. Alors oui, c’est à l’arrivée une innovation, mais il a fallu une étincelle de créativité, un « insight » comme le disent les Anglo-saxons, pour accepter l’idée d’un aspirateur sans sac. Une idée qui ne serait pas un peu folle au départ a peu de chances d’être vraiment intéressante.
Comment la créativité peut elle profiter de l’essor des réseaux sociaux et des nouveaux outils de partage de connaissances ?
Le fait majeur à leur propos est d’abord quantitatif avant d’être qualitatif : il y a surabondance d’informations disponibles et des possibilités sans cesse croissantes de communiquer et de collaborer via les réseaux. Encore faut-il rendre cette richesse inspirante. Un talentueux créatif, John Hegarty, disait récemment : « aujourd’hui tout le monde a une idée, mais qui a une vraie vision ? ».
C’est vrai, mais la bonne nouvelle à propos de ces nouveaux outils, c’est de démontrer que l’histoire de l’aiguille dans la botte de foin a pris un coup de vieux, car elle a toujours sous entendu que l’on se retrouvait tout seul dans cette situation ! Désormais, il y a autant de brindilles qu’il peut y avoir d’individus autour de la meule pour trouver l’aiguille. Plus sérieusement, 80% des idées de demain ne viendront pas des labos de recherche patentés des grandes organisations, mais d’initiatives individuelles ou concertées, de « bricolages » motivés par le besoin ou le hasard. Ce que favorisent les outils digitaux.
Les outils collaboratifs et le digital sont-ils un nouveau terrain pour la créativité ?
Collaborer a toujours été un facteur enrichissant, pour découvrir de nouveaux angles, s’ouvrir aux autres et rebondir. Ce que je remarque, c’est que ces outils collaboratifs sur un mode digital/de réseau se sont développés plus vite que la capacité de nombre d’entreprises à les rendre vraiment fertiles, à les considérer comme une possibilité de faire émulsionner les idées.
Ceux qui ont compris cela ont pris soin de préserver certains des mécanismes fondamentaux de la créativité : l’échange, l’écoute, l’émulation, la confrontation des points de vue dans le Réel. De fait, les entreprises parmi les plus innovantes d’aujourd’hui sont celles qui encouragent leurs employés à « bricoler » ensemble, à prendre le temps de se « poser physiquement » autour d’une question ou d’un problème. Et le plus souvent, à côté de leur feuille de route métier.
Plus largement, le développement horizontal des connaissances partagées a pour autre intérêt d’offrir un terrain de jeu et d’expérimentation unique. Face à un produit ou un service existant, il est possible d’imaginer une infinité de nouveaux usages, de nouvelles visions des choses. Et ceci dans absolument tous les domaines, de la communication à l’alimentaire ou encore à la finance. Nous sommes en train de passer d’un monde où le chemin des idées neuves a toujours été « Top-down » à un monde où la créativité la plus fertile devient « Bottom-up ». C’est là qu’il est intéressant d’observer, de s’y inspirer de la façon dont se fabriquent les idées fortes de demain.
En quoi se caractérise la formation que vous animez pour se former à la créativité ?
La principale caractéristique de cette formation sur 2 jours c’est son caractère opérationnel, concret. Le but ultime de la créativité c’est de générer des idées, de trouver une idée, « l’idée ! ». Pour cela je trouve important de commencer par faire toucher du doigt les conditions qui créent un climat favorable à la créativité. Cela est fondamental avant même d’aborder les techniques proprement dites. Ici, pas de théories, mais des exercices et des mises en situation. En ce qui concerne les techniques de créativité, j’insiste là encore sur le fait qu’il faut les expérimenter avec un sujet à traiter, une question à résoudre. C’est pourquoi, un temps est consacré, faisant pour moi partie intégrante de la créativité, à la façon de formuler une problématique avec les participants. Des exemples, tirés de mon expérience de la communication et des marchés viennent en outre illustrer, compléter les exercices et les mises en situation.
L’autre caractéristique de cette formation est que la créativité ne se limite pas pour moi à produire des idées : la phase amont (que cherchons-nous ?) et la phase aval (quelle idée choisir et comment la mener au bout ?) sont indissociables d’une démarche de créativité qui vise un résultat. Je considère que la créativité se mesure d’abord à la capacité de se poser les bonnes questions. Ces considérations sont abordées dans cette formation de façon pragmatique, là encore en relation avec des sujets concrets. Ces aspects sont trop souvent sous estimés dans certaines formations qui abordent la créativité soit de façon trop théorique ou sous la forme d’une compilation de techniques sans finalité associée.
Au final, en matière de créativité, il est important pour les participants de trouver à l’issue de ces 2 jours les repères, les bons ingrédients pour stimuler leur créativité et de disposer d’outils appropriables pouvant ensuite être mis en œuvre dans leur activité.
Eric Soleillant est directeur des stratégies chez Fondamenti. Il exerce par ailleurs une activité de conseil et de formation appliquée au « management des idées et des équipes » en termes d’innovation et de créativité. Il anime également la formation Développer sa créativité chez CCM Benchmark.